Et vogue le navire

En 1914, le Gloria quitte le port de Naples pour une singulière croisière. À bord, officiels, artistes et représentants de la haute société italienne, sont réunis pour les obsèques de la diva Edmée Tetua, dont les cendres doivent être dispersées en pleine mer. Mais ce voyage solennel va être perturbé par le sauvetage de réfugiés serbes en fuite. 

Film surprenant par l’inventivité du scénario -  à l’évidence James Cameron s’en est souvenu pour Titanic – Et vogue le navire décrit une société finissante, raffinée, courtoise, un monde de l’art qui reproduit sans créer et qui ne peut recueillir la vitalité d’une jeunesse parquée dans les soutes du navire. Pour cet apologue sur la fin d’un monde – celui d’une Belle Époque à son crépuscule -, sur la mort d’un art qui est ici l’opéra mais qui pourrait être le cinéma lui-même, Fellini utilise toutes les ressources de Cinecittà. Ainsi, avec la liberté de son imagination, dans un déploiement d’images surprenantes, au point que les passagers s’extasient sur un coucher de soleil artificiel, le cinéaste crée de toutes pièces un monde factice à l’instar des individus qui hantent son esprit, un monde qui en disparaissant laisse entrevoir un univers nouveau. C’est le sens de l’épilogue, qui voit le journaliste Orlando sauvé sur sa chaloupe : il rame sur une mer de plastique en transportant le rhinocéros aperçu sur le paquebot et à qui il doit sa survie. Double de Fellini, Orlando a la même approche incertaine de la réalité : « J’écris, je raconte… mais qu’est-ce que je veux raconter au juste ? Un voyage en mer ? Le voyage de la vie ? Mais cela ne se raconte pas : ça se fait, et c’est déjà beaucoup. »
Jean A. Gili, Fellini, le magicien du réel, 2009