8 ½ (Otto e mezzo)

Anselmi, réalisateur, ne parvient pas à terminer son film. Dans la station thermale où il s’est isolé, son épouse, sa maîtresse, ses amis, ses acteurs, ses collaborateurs et son producteur viennent lui rendre visite, pour qu’enfin soit réalisé ce film.
Lui se réfugie dans de longs rêves…

Huit et demi n’est sans doute pas une confession, ni même un ouvrage véritablement autobiographique. Mais il n’en est pas moins évident qu’on y retrouve à l’état brut des secrets et des obsessions, qui n’étaient que suggérés dans les précédents films de l’auteur. L’idée-force autour de laquelle s’organise, si l’on peut dire, ce « chaos » qui est l’essence même de Huit et demi, est celle de l’impuissance créatrice. Son héros (qui par bien des côtés lui ressemble comme un frère) est un réalisateur qui n’arrive pas à accoucher de sa prochaine production. Mais cette impuissance intellectuelle n’est qu’un des problèmes qui se posent à l’homme dont Fellini nous trace le portrait. Son échec immédiat lui fait prendre conscience d’un échec plus grave et plus profond, qui est celui de sa vie entière. Son passé l’assaille, des souvenirs d’enfance traversent sa mémoire, il revoit des femmes qu’il a aimées, d’autres qu’il a désirées, il se heurte à de vieux remords, à de vieilles nostalgies. Il se rend compte, parmi d’autres choses, qu’il a laissé fuir l’amour, comme il laisse fuir l’inspiration. C’est ce bouillonnement intérieur que Fellini a entrepris de mettre en images. Entreprise difficile, entreprise téméraire, dont le résultat risque de déconcerter une partie du public. Huit et demi n’est pas un film que l’on suit confortablement. Il faut entrer dans le jeu et participer à cette suite syncopée de rêveries et de rêves, à ce brassage continu du présent et d’un passé perdu et retrouvé. Si l’on aime Fellini, si l’on est sensible à sa poésie, à son humour, à son extraordinaire virtuosité technique, il me paraît impossible de ne pas aimer passionnément ce Huit et demi, la plus « fellinienne » de ses œuvres. Film délirant, frénétique, hystérique, incroyablement baroque, film par moments irritant, film à coup sûr imparfait mais qui renferme trop de séquences inoubliables pour qu’on ne l’accepte pas avec enthousiasme dans sa totalité.
Jean de Baroncelli, Le Monde, juin 196