Serre moi fort
Mathieu Amalric – 1h37, France
avec Arieh Worthalter, Vicky Krieps
D’après la pièce Je reviens de loin, de Claudine Galea.
Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va.
Le synopsis officiel du film tient en une phrase. C’est évidemment ce « semble » énigmatique, incertain, qui indique l’itinéraire bis emprunté par Serre moi fort, à savoir tout sauf la ligne droite, pour mener jusqu’au coeur. Dès le début, l’héroïne prend la tangente. Dans le jour naissant d’une campagne paisible, Clarisse (Vicky Krieps) abandonne sur la pointe des pieds son monde endormi, le mari, les deux enfants encore petits. Forcément, le spectateur embraye se leurrant déjà sur les motifs possibles de la fugue, crise conjugale, burn-out maternel ou passion adultère. Des indices, néanmoins, lui mettent la puce à l’oeil et à l’oreille. L’obligent à guetter la déviation. Ce titre auquel il manque un tiret, Serre moi fort, comme pour signifier un lien brisé. Cette phrase murmurée par Clarisse à une amie avant de partir, alors qu’elle quitte à peine les siens : « Tu sais, je les vois… ». Autant de petits cailloux semés par Mathieu Amalric dans le premier tiers du film, manière subtile de lever un coin du voile tout en continuant de le tisser. Amalric, qui dit s’être inspiré pour l’image des Gens de la pluie, de Coppola, a pris le parti avec son chef opérateur, Christophe Beaucarne, de filmer à l’identique le réel et l’imaginaire, le passé, le présent et un avenir qui n’aura pas lieu. On pense immanquablement au cinéma d’Alain Resnais, quelque part entre Je t’aime, je t’aime et Smoking/No smoking, devant cet éclatement devenu familier chez l’acteur-réalisateur : il brouillait déjà les temporalités dans son adaptation de Simenon La Chambre bleue (2014), et signait avec Barbara (2017) un envoûtant anti-biopic aux miroitements de kaléidoscope. Tiré d’une pièce de théâtre de Claudine Galea détricotée par ses soins, ce nouveau long métrage l’emmène cette fois sur les cimes assumées du mélodrame et le confirme en guide de haute voltige.
Marie Sauvion, Télérama
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