Mémoires du sous-développement
Tomas Gutierez Alea - 1h37, Cuba, 1968
avec Sergio Corrieri, Daisy Granados
Un an après la révolution cubaine, Sergio, un intellectuel bourgeois aisé, décide de rester vivre dans son pays malgré l’exil de sa famille vers les États-Unis. Mais il se trouve vite tiraillé entre un passé qu’il refuse et une situation nouvelle à laquelle il n’adhère pas.
Cette pépite du cinéma cubain frappe par sa liberté formelle autant que pour sa valeur historique. L’histoire se déroule en 1961-1962, du débarquement foireux des Américains dans la baie des Cochons à la crise des missiles. Le film est tourné en 1968. Tomas Gutierez Alea projette donc un regard rétrospectif, d’une fermeté désenchantée, sur le moment où la jeune révolution a brutalement vieilli. L’angoisse caractérise l’œuvre et son personnage. Sergio sait qu’il va sombrer, et il sait qu’il doit rester pour le vivre jusqu’au bout. Il est interprété par Sergio Corrieri, excellent acteur qui restera engagé sa vie entière au côté du castrisme, jusqu’à devenir ambassadeur culturel du régime un peu partout. Quant au réalisateur, le régime l’empêchera de tourner toujours un peu plus. Et l’Occident le redécouvrira, en 1993, avec Fraise et chocolat - comme si, revenu d’entre les morts, réapparaissait l’élégant Sergio.
Philippe Lançon, Libération