Goutte d’Or
Clément Cogitore – 1h38, 2022
avec Karim Leklou, Malik Zidi, Ahmed Benaïssa
Ramsès tient un cabinet de voyance à La Goutte d’Or à Paris. Habile et manipulateur, il a mis sur pied un solide commerce de la consolation. L’arrivée d’enfants des rues, aussi dangereux qu’insaisissables, vient perturber l’équilibre de son commerce et de tout le quartier. Jusqu’au jour où Ramsès va avoir une réelle vision.
Sept ans après Ni le ciel ni la terre, le premier long-métrage de Clément Cogitore, Goutte d’Or obsède, passé le temps de sa découverte. Il faut dire que le cinéaste creuse et précise son exploration de la croyance. Il suit les pas d’un mage moderne. Ramsès n’est pas un pharaon égyptien, mais un marabout du quartier de La Goutte d’Or, enclave populaire et métissée du dix-huitième arrondissement parisien. Ce consolateur moderne rivalise de magouilles et de manipulations pour faire prospérer son trafic, en attirant des âmes en peine vers ses services de prétendu voyant. Regard profond et opaque, Karim Leklou lui prête son talent immense et ses traits. Et son charisme unique, alliant magnétisme et inquiétante étrangeté. Il en faut pour porter ce récit d’un quotidien décalé vers le mystère mystique.
Dans ce Paris ignoré et périphérique aux zones valorisées, le royaume de la survie transpire de chaque image. Surtout quand une bande de gamins intrépides débarque dans le récit et dans le quartier. Ils détraquent la mécanique bien huilée du cador, mais font naître aussi malgré eux un miracle qui ne dit pas son nom. Cogitore a l’art de filmer l’invisible et de donner forme à l’occulte. Comme un précipité chimique, la mise en scène, l’interprétation et le montage vont faire apparaître l’impossible en une scène.
Goutte d’Or confirme la force du regard de son cinéaste. Il évacue le psychologisant et les résolutions appliquées et cartésiennes. Car il est ici question de chemins souterrains, qu’il faut emprunter avec son esprit. La route est semée d’inconnus, de mots de passe et de rébus. Elle s’appuie aussi sur une humanité en alerte, quand bien même elle est violentée. L’émotion perce avec discrétion, via les visages et les souffles des aînés et parents, émouvants personnages campés par Laure Duthilleul, Ahmed Benaïssa, Elsa Wolliaston et Loubna Abidar. L’avancée de cette immersion est sinueuse et rêche, mais la sensation est passionnante et entêtante. Et la route est d’or.
— Olivier Pélisson, Bande à part
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