Maudit !

Alix part à la recherche de son ami disparu dans les hauteurs sauvages de La Réunion, hanté par l’histoire violente et complexe de cette île, habité par les fantômes du colonialisme et de l’esclavage.

Après Sac-la-mort sorti en 2017, Maudit ! est le deuxième film qu’Emmanuel Parraud tourne à La Réunion. La démarche pourrait sembler anecdotique, elle ne l’est pas dans le cadre d’un cinéma français qui demeure structurellement très centralisé, comme la plupart des institutions. Le peu de représentations nous venant des Outre-mer en dit assez long sur le peu d’adhérence qui existe entre l’imaginaire collectif français et son territoire effectif. Dans ces conditions, l’intérêt du travail de Parraud n’est pas tant de se délocaliser sur l’île, ni de s’en servir comme toile de fond, mais de faire le pari d’un véritable cinéma réunionnais, modelé à partir des imaginaires et idiosyncrasies locaux. Quiconque attendrait en Maudit ! une œuvre disciplinée, bien soignée, propre sur elle, risque d’être déçu. Ses conditions précaires servent au contraire une forme hirsute, bouillonnante, vacillante, où la grammaire ordinaire est bien souvent bousculée, prise d’assaut ou de vitesse. Joué en créole, le film pratique lui aussi une sorte de créolisation de la fiction, qu’on ne parvient plus à distinguer du reportage embarqué ou du trip halluciné, de la bande amateur ou de la pure vision. Maudit ! se place ainsi sur un registre de transe, de fièvre, d’envoûtement. C’est un film possédé, dont chaque image entremêle jusqu’au vertige les niveaux de réalité.
Mathieu Macheret, Le Monde