Les Enfants du 209, rue Saint-Maur, Paris Xe
Ruth Zylberman – 1h40, France, 2017
La réalisatrice a choisi au hasard un immeuble dont elle ne savait rien. Pendant plusieurs années, elle a enquêté pour retrouver les anciens locataires du 209, rue Saint-Maur, et reconstituer l’histoire de cette petite communauté humaine pendant l’Occupation. Elle les a retrouvés à Paris, en banlieue, en province, à Melbourne, New York et Tel Aviv. Elle les a filmés, ainsi que les pierres et les habitants de l’immeuble aujourd’hui, pour saisir les traces d’une intimité brisée.
Le geste poétique de Ruth Zylberman réside dans son idée de partir d’un immeuble unique pour raconter ces histoires. Elle aurait d’ailleurs pu en choisir un autre, dans ce Xème arrondissement de Paris où de nombreux juifs d’Europe de l’Est étaient venus s’installer, car la barbarie de ces temps-là était particulièrement administrative et systématique, et tous les immeubles alentours ont connu, peu ou prou, un sort similaire. L’échelle est parfaite : ni trop grande, ni trop petite, pour saisir l’infiltration de la terreur nazie dans la vie de ses victimes. Elle permet de montrer comment l’Histoire s’immisce de plus en plus violemment dans le quotidien des habitants et pourchasse chacun et chacune jusque dans son chez-soi, dans sa retraite intime. La réalisatrice montre les interactions entre les différents voisins, raconte l’histoire des commerçants du rez-de-chaussée dont la boutique est arianisée, fait revivre les conflits d’une famille qui se déchire en deux camps, et que rien ne pourra réconcilier.
Matthieu Garrigou-Lagrange, France Culture