LE BOIS DONT LES RÊVES SONT FAITS
CLAIRE SIMON - 2H26, FRANCE, 2015
Le Bois dont les rêves sont faits, présenté hors compétition au festival de Locarno, réserve bien des surprises, à partir d'un sujet d'apparence modeste: un film sur le bois de Vincennes, aux portes de Paris.
Voyez les pêcheurs: les deux qu’elle a filmés ont passé une nuit entière à taquiner la carpe et, au matin, ils relâchent leurs deux énormes prises. La pêche, c’est un trip abstrait, une aventure intérieure. Et la prostituée qui reçoit ses clients dans la « chambre 1 » dessinée par un vague rectangle de quelques arbres, son hôtel de passe est fantomatique, fantasmagorique, comme toute sa vie peut-être. Comme les visions du peintre qui continue son tableau une fois la nuit tombée. Cette pente de l’irréalité qui se cache au coeur du bois de Vincennes peut être, on le devine, dangereuse. Dans sa cabane, un homme encore jeune dort des jours d’affilée: il se noie dans le sommeil. Les gens sortent dans le Bois pour entrer dans leur tête, et Claire Simon les suit… Il faut une sacrée force pour aller, avec une caméra, déranger ces rêveurs au bord du cauchemar, et qui ont de toute façon déjà sombré dans une immense solitude. Claire Simon l'accueille sans peur, cette solitude, probablement parce qu'elle est une solitaire elle-même, filmant sans personne pour la seconder. Elle sait aussi, comme personne, faire du documentaire un révélateur du versant caché de la réalité: qui sait encore prêter attention aux fantômes, aux présences furtives, invisibles, ignorées, oubliées, aux ombres des vivants et à ceux qui camouflent, aux milieu des arbres, leurs blessures ? Avec ce Bois dont les rêves sont faits, Claire Simon fait œuvre essentielle. Et fait du documentaire une expérience de cinéma mille fois plus emballante que bien des fictions qu'on peut voir.
Frédéric Strauss, Télérama