J'ai perdu mon corps
JÉRÉMY CLAPIN – 1H21, 2019
CÉSAR DU MEILLEUR FILM D’ANIMATION 2020 GRAND PRIX SEMAINE DE LA CRITIQUE – FESTIVAL DE CANNES 2019 GRAND PRIX & PRIX DU PUBLIC – FESTIVAL D’ANNECY 2019
À Paris, Naoufel tombe amoureux de Gabrielle. Un peu plus loin dans la ville, une main coupée s’échappe d’un labo, bien décidée à retrouver son corps. S’engage alors une cavale vertigineuse à travers la ville, semée d’embûches et des souvenirs de sa vie jusqu’au terrible accident. Naoufel, la main, Gabrielle, tous trois retrouveront, d’une façon poétique et inattendue, le fil de leur histoire…
D’abord une question. L’adorable petit Naoufel demande à son père comment attraper une mouche. « Il faut viser à côté, là où elle ne s’y attend pas. » La réponse paternelle annonce à sa façon comment ce premier long métrage d’animation, constamment étonnant et bouleversant, va raconter une histoire apparemment toute simple : la vie, empêchée, mais portée par l’espoir, d’un jeune homme d’aujourd’hui. Et si l’art de Jérémy Clapin de jouer entre présent et passé plus ou moins lointain est d’une totale lisibilité, il complique l’exercice critique, tant il serait dommage de trop déflorer ce tendre thriller.
Après, donc, ce court prologue enfantin, J’ai perdu mon corps, Grand Prix du festival d’Annecy, démarre sur une main… coupée, entreposée dans un laboratoire, et qui décide de s’échapper. Séquence d’évasion digne des meilleurs films noirs et pendant laquelle, grâce à un hallucinant sens du cadre et du montage, on retient son souffle. Parallèlement, la main, celle de ce même Naoufel devenu jeune homme, se souvient de son enfance. Quand elle était, justement, celle d’un petit garçon qui rêvait encore d’être à la fois cosmonaute et concertiste, qui jouait du piano avec sa maman ou laissait glisser du sable entre ses doigts. Autant de merveilleuses sensations tactiles rendues par un dessin d’une poésie fluide.
Cette main tenait aussi le micro d’un magnétophone avec lequel le garçonnet enregistrait les bruits du monde, et l’amour de ses parents : la puissance de cette animation réside, également, dans sa célébration du son, organique et mélancolique.
Quel est l’horizon possible pour un jeune homme arraché à ses origines, à ses rêves, maladroit en amour, maladroit tout court ? Avec son dessin si pur, tout en perspectives, ses décors de banlieues et de chantiers comme tendus vers le ciel, mais aussi son écriture aussi précise que drôle, Jérémy Clapin répond en fusionnant tous les genres de cinéma. Pour former un superbe mélo. J’ai perdu mon corps pourrait bien offrir la main qu’on attendait : celle à mettre une bonne fois pour toutes dans la figure de ceux qui osent encore prétendre que l’animation n’est pas du cinéma.
Guillemette Odicino, Télérama