Ceux qui travaillent
ANTOINE RUSSBACH – 1H42, 2019
AVEC OLIVIER GOURMET, ADÈLE BOCHATAY, DELPHINE BIBET
Cadre supérieur dans une grande compagnie de fret maritime, Frank consacre sa vie au travail. Alors qu’il doit faire face à une situation de crise à bord d’un cargo, il prend – seul et dans l’urgence – une décision qui lui coûte son poste. Profondément ébranlé, trahi par un système auquel il a tout donné, le voilà contraint de remettre toute sa vie en question.
Son premier film à peine sorti, le trentenaire genevois Antoine Russbach en profite pour annoncer les deux suivants (du moins tels qu’il espère pouvoir les mener à terme), Ceux qui combattent et Ceux qui prient, dont on imagine que la trilogie ainsi formée, avec le liminaire Ceux qui travaillent, dresserait un état des lieux très modérément funky de l’état de nos sociétés occidentales. Car à l’évidence le néophyte suisse n’est pas tant là pour nous faire danser sur les tables que pour donner matière à réflexion. Dossier instruit, Ceux qui travaillent – situé dans les eaux troubles du biotope où plongent déjà Laurent Cantet, Stéphane Brizé ou Nicolas Silhol – interroge ainsi les rouages du capitalisme en général, et la responsabilité morale d’un serviteur du système en particulier, à travers une étude de cas édifiante, cependant que judicieusement équivoque.
Employé d’une grosse compagnie de fret maritime, Frank prend un jour sans concertation une décision qui va lui coûter son poste. Aucune intention de nuire explicite n’a guidé un choix, certes immoral, mais qu’on hésitera pourtant à taxer de cynique, juste le souhait de servir au mieux les intérêts de l’entreprise où, accompli par le dévouement, il a gravi les échelons. Devenu bouc émissaire, le cadre supérieur se retrouve alors à devoir endosser les habits trop grands d’une forfaiture collective, jusqu’à se poser en victime expiatoire sacrifiée sur l’autel d’un libéralisme dans lequel il continue néanmoins de vouloir surnager. Un statut ambivalent, densifié par un profil psychologique sans concession qu’assume crânement le toujours irréprochable Olivier Gourmet, véritable mur porteur d’un drame social implacable et glaçant, cependant que jamais rébarbatif en dépit de son âpre thématique.
Gilles Renault, Libération