Florence et Millie Farley
Florence et Millie Farley

Une approche genrée de "Jeu set et match"

Analyse par Mélanie Boissonneau
Jeu, set et match (Ida Lupino, 1951)

publié le 10/10/2025

Pour accompagner les projections de Jeu, set et match (Ida Lupino, 1951) au programme de Lycéens et apprentis au cinéma, les 2 Scènes ont fait appel à la spécialiste de cinéma Mélanie Boissonneau afin d'apporter un regard gender sur le film. 

Réalisé en plein âge d’or du cinéma classique hollywoodien, le film d’Ida Lupino est un produit de son époque. En ce tout début de la décennie, la jeunesse américaine étouffe dans une Amérique à la fois prospère et très conservatrice. Le rock n’ roll, James Dean et Marlon Brando ne sont pas encore passés par là. Florence, malgré une tentative de rébellion contre les conditions imposées par sa mère, va tout de même lui obéir avant de disparaître dans le mariage avec le très sage Gordon.

Will, le père, dont le prénom est une version diminuée et inversée de celui de sa femme (Millie vs Will) est l’illustration de la « masculinité en crise » d’après-guerre1 explorée dans la plupart des films de Lupino (The Bigamist et The Hitch-hicker notamment). Ce père, aimant mais incapable de répondre aux besoins matériels et symboliques de sa femme est le personnage qui prend en charge les sentiments (exprimant les siens à sa femme et à sa fille, faisant surgir ceux de cette dernière). Mais au fur et à mesure de l’intrusion de Fletcher dans la vie de sa famille, il s’efface, en devenant de plus en plus faible physiquement (il tousse, semble devoir s’appuyer ou s’assoir, avant d’être alité à la fin du film), et en disparaissant par la mise en scène, relégué à l’arrière-plan, à l’état d’ombre, ou de présence lointaine, voire hors champ.

Millie quant à elle, incarne la mère prête à tout pour garantir à sa fille l’élévation sociale dont elle estime avoir été privée. Ce personnage féminin subit de plein fouet un backlash, ce mouvement de régression faisant suite à des avancées dans l’émancipation des femmes, décrit par Susan Faludi2. Peu soucieuse de préserver la famille nucléaire chère à l’Amérique d’après-guerre, Millie la fait exploser et la recompose de façon artificielle, avec un trio crapuleux (Fletcher, Millie et Florence, souvent cadrés ensemble), ou un duo mère-fille dont les relations se dégradent au fur et à mesure que Florence prend conscience de la manipulation de sa mère.

Millie sera le seul personnage finalement puni, dans un dernier plan d’une grande cruauté. Un travelling arrière la laisse ainsi seule, abandonnée par sa fille (qui a pourtant joué le jeu), son mari (qui n’a rien fait pour s’opposer) et Fletcher (parfait escroc qui a un temps incarné l’espoir de richesse pour Millie), dans des gradins désormais sinistres et désertés.

 

1Voir sur ce sujet *Masked man, masculinity and the movies in the fifties (*Cohan Steven Cohan Steven, Indiana University Press, 1997) et Bringing up Daddy, Fatherhood and Masculinity in Post-War Hollywood (Bruzzi Stella, British Film Institute, 2006)

2Backlash. La guerre froide contre les femmes (Faludi Susan, Editions des femmes, 1993). Dans cet essai, qui a obtenu le prix Pultizer en 1991, Susan Faludi théorise le concept de backlash en prenant pour exemple les régressions des droits des femmes aux Etats-Unis dans les années 1980 et 1990 (suite aux mouvements féministes et à l’arrêt Roe vs Wade de 1973 légalisant le droit à l’avortement au niveau fédéral – arrêt révoqué en 2022...)

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