Les femmes réalisatrices
Un texte de Mélanie Boissonneau
Pour le dispositif Lycéens et apprentis au cinéma
publié le 08/10/2025
Dans le cadre du dispositif Lycéens et apprentis au cinéma et en écho à la programmation du film Jeu, set et match d'Ida Lupino, proposé au premier trimestre, Les 2 Scènes ont fait appel à la spécialiste de cinéma Mélanie Boissonneau pour nous apporter un éclairage sur les femmes réalisatrices dans l'histoire du cinéma.
Alice Guy, Lotte Reiniger, Germaine Dulac, Jacqueline Audry, Nelly Kaplan, Agnès Varda… on pourrait tout à fait penser une histoire du cinéma en ne citant que des femmes réalisatrices… Mais il faut pour cela le goût de l’effort, une certaine pugnacité et surtout une grande curiosité. En effet, bien que pionnières dans de nombreux domaines et genres cinématographiques (la fiction pour Alice Guy, l’animation pour Reiniger, le surréalisme pour Dulac...), les femmes cinéastes ont longtemps été invisibilisées, leur travail étant par exemple effacé au profit d’un co-réalisateur plus célèbre (c’est le cas de Jean-Benoît Levy et Marie Epstein), ou oublié parce que ne correspondant pas au canon cinéphilique adoré des historiens du cinéma (comme Jacqueline Audry, réalisatrice à succès de 16 long-métrages dans les années 1940-19501).
Une autre stratégie d’effacement des réalisatrices est de mettre en avant leur carrière d’actrice, plutôt que leur travail de cinéaste, à la façon de Musidora en France ou d’Ida Lupino aux Etats-Unis, leur beauté cinégénique ayant longtemps occultée leur carrière de cinéaste.
Mais depuis les années 1970, les femmes se font entendre, en créant des festivals et associations qui mettent en avant les cinéastes d’hier et d’aujourd’hui (c’est le cas du Festival du Film de Femmes à Créteil depuis 1979 ou du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir depuis 1982) et en s’emparant de nouveaux moyens de filmer, comme la vidéo, qui permet à Carole Roussopoulos ou Delphine Seyrig de documenter les luttes de leur temps sous un angle humaniste et féministe (les luttes des ouvrières Lip par exemple).
Malgré ces initiatives, encore aujourd’hui, et alors que la parité est atteinte voire dépassée dans les filières de formation en cinéma, les chiffres sont implacables et le seuil des 25 %2de femmes réalisatrices en France semble bien difficile à dépasser (après une note d’espoir en 2022 avec 29,8 % de femmes réalisatrices3). Aux Etats-Unis, la situation est encore plus inégalitaire, avec 14,3 % de réalisatrices en 2024 4 (ce qui constitue malgré tout une nette augmentation par rapport aux 2,7 % de 2007…).
Ces chiffres inéluctables n’empêchent pas certains succès surprises comme celui de la jeune Louise Courvoisier et son premier long-métrage Vingt Dieux qui a attiré presque 1 million de spectateurs en salles en 2024, ou les récentes Palme d’or de Julia Ducournau (Titane, 2021) Justine Triet (Anatomie d’une chute, 2023), 30 ans après celle décernée à Jane Campion pour la Leçon de piano, bien trop longtemps la seule et unique réalisatrice récompensée d’une Palme d’or à Cannes en 19935…
Le chemin est encore long mais les femmes s’organisent toujours (Collectif 50/506, Les femmes s’animent7, Women in Film8…) pour documenter les inégalités, réclamer la parité, et oeuvrer à une diversité des regards et donc des représentations (qu’il s’agisse du genre, de la classe sociale, des origines des situations...).
1 Pour en savoir plus : Jacqueline Audry, La femme à la caméra, Brigitte Rollet, PUR, 2015
2 24,2 % en 2024, source : https://www.cnc.fr/documents/36995/2328824/Observatoire+de+l’égalité+femmes+-+hommes+-+édition+2025.pdf/bd5e56e6-f614-85bd-7571-555864716c2b?t=1741363629492
5 Cf les études du Collectif 50/50 : https://collectif5050.com/cannes-venise-berlin-la-parite-en-competition-officielle/