Hearing
Amir Reza Koohestani
publié le 08/03/2017
Dans un internat iranien, la jeune Samaneh croit entendre une voix masculine émaner du dortoir de son amie Neda. Aucune preuve n’est fournie, mais un rapport est toutefois rédigé et les jeunes femmes sont interrogées. Depuis douze ans, Samaneh revit en boucle l’interrogatoire subi et ressasse les réponses qu’elle ne peut plus changer...
Ce que nous ne disons pas mais qui est entendu
Ce que nous ne disons pas mais qui est entendu « Dans mon pays, lorsque je monte une pièce de théâtre, je sais pertinemment que mes premiers spectateurs sont quelques individus se désignant eux-mêmes comme le " Conseil de surveillance et d’évaluation ”. Dans ces circonstances, comment échapper une nouvelle fois au couperet de ce comité, tout en ouvrant le débat à travers une pièce ? Comment espérer pouvoir poser à haute voix, selon l’expression de Tchekhov, les “questions demeurées sans réponses ” de la société iranienne soumise à la censure ?
Ce défi peut paraître insurmontable pour un regard occidental. Il est probable que les défenseurs d’une liberté absolue comme condition nécessaire à la création estiment que l’existence de la censure rend toute œuvre d’art conçue en Iran suspecte. Je m’inscris en faux contre ce point de vue auquel on peut opposer des centaines de contre-exemples : le cinéma d’Eisenstein, de Tarkovski ou de Kiarostami, tout comme le théâtre de Grotowski... Une liberté totale n’est pas la condition nécessaire et suffisante à la création. L’artiste a avant tout besoin de connaître la société dans laquelle il vit et le public à qui il s’adresse.
Il y a, de fait, des questions dont on ne peut traiter sous la censure, mais je dois reconnaître qu’en tant qu’auteur et metteur en scène je ne me préoccupe guère de cette zone interdite (il me semble parfois que les journalistes occidentaux s’en inquiètent davantage que moi !). À l’heure actuelle, grâce au développement des réseaux sociaux, l’information parvient aussi bien à la population de mon pays qu’au reste du monde. Aussi, il apparaît qu’à partir du moment où le public connaît les contraintes et tabous subis par des disciplines artistiques telles que le théâtre, la censure est faillible ou du moins contournable. Les images ne sont pas nécessairement celles qui sont données à voir sur scène, mais celles qui se forment dans l’esprit du spectateur, hors d’atteinte de quelque comité de censure que ce soit. Le spectateur, nourri par un flux constant d’information lui provenant du monde qui l’entoure, dispose amplement du bagage nécessaire pour lire entre les lignes des dialogues de la pièce et accéder aux différents niveaux de sens de l’œuvre. Par conséquent, il faut toujours veiller à maintenir un équilibre précis : suggérer juste assez pour inciter le spectateur à constituer le puzzle malgré les pièces manquantes, mais pas davantage, pour ne pas titiller les antennes des censeurs. Mais les mots les plus anodins, reçus par un public nombreux, informé, révolté et enthousiaste, donnent lieu à des interprétations de l’œuvre qui peuvent aller même au-delà de la volonté des créateurs. »
— Amir Reza Koohestani, The Time We Share (Reflecting on and through Performing Arts)
Traduction du persan : Massoumeh Lahidji. Édité par Daniel Blanga-Gubbay et Lars Kwakkenbos, publié en mai 2015 par le Kunstenfestivaldesarts et Mercatorfonds.
Spectacle accueilli par Les 2 Scènes et le Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté