Filmer l'histoire
RENCONTRE AVEC BERTRAND TAVERNIER, ANIMÉE PAR PASCAL BINÉTRUY
Quand j’aborde un film historique, il faut que je devienne contemporain de l’époque que je vais filmer, que je ne sois pas plus savant que les personnages, plus malin qu’eux: Marie dans La Princesse de Montpensier, ne comprend que vingt pour cent de l’époque dans laquelle elle vit et je dois prendre en compte cette ignorance (ce qui m’arrange car le public actuel n’est pas beaucoup plus érudit ou cultivé). Idem pour les soldats de Capitaine Conan qui ne parviennent pas plus à se repérer dans tous les déplacements qu’on leur impose que les spectateurs du film. Parvenir à incorporer l’ignorance de ceux qui vont voir le film dans votre dramaturgie vous permet de l’affuter, de l’aiguiser, vous évite beaucoup d’explications didactiques, oiseuses, inutiles. Oui il faut rendre la caméra contemporaine des personnages, de leurs émotions, de leurs doutes, de leurs passions, être aussi contemporain et naturel dans La Princesse de Montpensier, Capitaine Conan, Laissez-passer que dans La Brume électrique ou L627. L’Histoire c’est la réalité d’hier. Comme l’avait remarqué Jean Rochefort dans Que la fête commence: «en somme tu filmes comme si la caméra avait été inventée en 1720». Il ne faut jamais reconstituer une époque mais capter son âme.
Bertrand Tavernier, Juillet 2014