Restaurer un film de patrimoine
Entretien avec Céline Charrenton
publié le 14/12/2021
Céline Charrenton a notamment supervisé la restauration du film Panique (Julien Duvivier, 1947), au programme de Lycéens et apprentis au cinéma, dispositif coordonné par Les 2 Scènes pour l'Académie de Besançon.
Entretien réalisé par Marc Frelin (printemps 2021).
Vous travaillez dans le domaine de la restauration de films, pour TF1 Studio, pourriez-vous nous expliquer votre rôle dans cette structure ?
Cela fait plus de 10 ans que je m’occupe des restaurations au sein du service technique de TF1 Studio. Lorsque le Pôle Catalogue a été créé en 2016, je l’ai naturellement rejoint pour y développer ce que j’avais commencé. J’y coordonne au niveau technique toutes les restaurations de notre catalogue, composé de près de 1000 films, allant de 1930 à nos jours. Un quart d’entre eux est restauré à ce jour et je supervise 25 à 30 restaurations par an.
En quoi ce catalogue de film est-il spécifique ?
Ce n’est pas un catalogue comme les maisons de cinéma (Gaumont, Pathé) : au milieu des années 1990, TF1 a acheté un catalogue très conséquent, celui des Films Ariane, qui appartenait à Alexandre Mnouchkine. Un important travail juridique était alors à réaliser et comme ce catalogue était acheté au niveau juridique et commercial mais pas au niveau technique, nous avons eu le cas de « coquilles vides », des films dont nous avions les droits mais pas le matériel.
Comment se porte ce secteur du « cinéma de patrimoine » ?
Depuis dix ans, le cinéma de patrimoine revient en salle, et le public suit, même si les professionnels n’y croyaient pas au départ ! Pour preuve, la section Cannes Classics qui a été créée en 2004 ou le Festival Lumière, créé lui en 2009, où les salles sont pleines.
Quel est le but principal visé lorsque vous supervisez une restauration ?
Mon travail est de rendre agréable et confortable le visionnement d’un film ancien, au niveau du contexte visuel et sonore. Un film des années 1930, sans restauration, est trop difficile à visionner en l’état, surtout au niveau sonore, pour un spectateur actuel. Une des priorités sera de rendre intelligibles les voix et de faire en sorte que le côté technique ne gâche pas le plaisir du spectateur : il ne faut pas chercher à donner une image trop léchée, à la Pixar.
L’idée d’une restauration est de conserver le grain argentique qui caractérise l’image cinéma et que le spectateur apprécie en salle. Il ne faudrait pas apporter un inconfort numérique. En effet, si l’on va trop loin dans la correction numérique, on va obtenir ce que l’on nomme du « bruit numérique », plus gênant que du grain, on voit alors les pixels et des artefacts qui apparaissent. Ou bien, on va avoir une impression de qualité vidéo et d’une image artificielle. Il faut une qualité cinéma, et non pas juste une qualité vidéo ou informatique.
Vous supervisez les restaurations, mais qui se charge de la dimension technique ?
À TF1 Studio, nous ne réalisons pas directement les travaux de restauration car cela demande des compétences et des moyens techniques spécifiques, on fait appel à des laboratoires. Une restauration de long métrage coûte entre 80 000 à 90 000 € et le « retour sur film » représente un tiers de ce budget.
En quoi consiste ce « retour sur film » ?
Il s’agit, après numérisation et restauration d’un film pré-existant sous forme pelliculaire, de restituer la version restaurée sur une nouvelle pellicule. Cette dernière a une durée de vie plus longue que celle d’un fichier sur support numérique, qui doit être dupliqué tous les deux ou trois ans. La pellicule bien conservée peut durer plus de 100 ans. En France, il n’y a plus qu’un laboratoire qui effectue cette opération du retour sur film.
Quelles sont les étapes, pour la restauration d’un film ?
Il y a tout d’abord deux phases dans la remise en état du matériel d’origine, si possible le négatif, ou alors le « marron » qui est l’élément qui suit le négatif. On répare physiquement la pellicule : il faut refaire les collures et réparer les perforations arrachées. Il y a ensuite l’étape photochimique de l’essuyage, qui consiste à passer la pellicule dans des bains pour la nettoyer de toutes les petites poussières qui sont posées ou collées dessus. Cette remise en état lui permet de passer dans la machine de numérisation.
Comment se déroule cette phase « numérique » de la restauration ?
À l’aide d’un scanner, on va numériser le film, chaque photogramme est transcrit en une image numérique. Il peut s’agir d’un scan à sec ou d’un scan par immersion, plus rarement car ce procédé est deux à trois fois plus cher… Mais il a l’avantage d’effacer ou de combler une partie des petites rayures côté support. Ce scan par immersion n’altère pas l’image et nous fait gagner du temps, donc de l’argent, lors de la restauration numérique. Ensuite, il faut donc restaurer cette image.
L’étalonneur arrive alors en cours de processus et pré-étalonne les images pour le restaurateur. Parfois ils appliquent une “l.u.t”, un filtre automatique assez neutre qui va donner des valeurs au négatif qui par nature est assez pâle. On passe ensuite par une phase semi-automatique, avec un ou plusieurs logiciels spécialisés, Diamant pour Panique, qui consiste à appliquer des filtres que l’on calibre sur l’image, ce qui permet de supprimer des rayures, des poussières, des défauts, des abrasions, des taches ou des éclats… Un ensemble des choses très petites qui prendraient beaucoup de trop de temps à la main. On ne cherche pas le « zéro défaut » : si c’est au premier plan, en gros plan, au centre sur un personnage, on retravaille l’image, mais pas forcément si le défaut n’est pas au premier plan. C’est une question de d’équilibre entre la qualité finale et le budget.
Est-ce que les réglages sont appliqués sur l’ensemble du film ou il faut aussi travailler sur chaque image indépendamment ?
Après la phase semi-automatique, il y a une phase « manuelle ». L’opérateur, à l’aide d’une sorte de palette graphique, va travailler image par image sur un écran assez grand pour pouvoir travailler sur la totalité du photogramme. Mais je vérifie d’abord les scans bruts en salle de projection pour voir l’ampleur de la difficulté des travaux à mener. Cela me permet également de voir quelle est la réserve utile pour ne pas avoir à cadrer trop serré à la fin de la restauration. Bobine par bobine, cela prend environ 3h, avec la personne responsable du projet au laboratoire et avec l’étalonneur, qui interviendra de nouveau à la fin.
Intervenez-vous à d'autres étapes ?
Je vais valider aussi la restauration 4K, déjà étalonnée - soit l’image seule, soit l’image et le son si ce dernier est prêt - un peu avant la fin du travail, cela me permet de donner mes indications de reprises de corrections si besoin est.
Et pour le son, comment se passe la numérisation ?
Une équipe va s’occuper du scan de l’image, et une autre du scan du son à l’aide d’autres machines. On scanne la piste son, qui devient un fichier numérique audio pour chaque bobine. Puis le restaurateur sonore, qui est souvent un ingénieur du son, va récupérer les fichiers et restaurer la bande son sur le logiciel ProTools et ses nombreux plug-ins, dans un auditorium cinéma. La priorité est de rendre intelligibles les dialogues et de donner un confort auditif, sans que cela soit trop nasillard ou strident. On est plus vite agressé au niveau de l’oreille que de l’œil.
Quel souvenir gardez-vous de la restauration de Panique ?
En un sens, c’est un souvenir douloureux car ce fut une restauration difficile ! Mais je suis fière également car c’est un vrai sauvetage patrimonial. Déjà, car le film est un excellent Duvivier, qui résonne avec l’actualité d’aujourd’hui. Il y a quelque chose de très fort dans le roman de Simenon comme dans le film, et un grand intérêt culturel à le sauver.
Comment se sont passées les choses d’un point de vue technique et financier ?
Cette restauration s’est faite en 2013 en 2K, avec pour son financement une vente à France Télévision pour une diffusion télévisuelle, puis une distribution en salle avec les Acacias. Elle a coûté près de 50000 euros, il n’y a pas eu de « retour sur film ». On a été contraint à l’époque de scanner à sec, car le scan par immersion n’existait pas encore, mais aujourd’hui on l’utiliserait. Il a donc fallu ensuite passer par la restauration numérique. Les rayures étaient côté gélatine suite à un accident industriel qui avait abîmé la pellicule lors de sa restauration argentique durant le plan nitrate. “Le plan nitrate”, opéré par le CNC au début des années 1990, avait pour but de transférer les supports nitrate sur pellicule non inflammable.
Etait-ce le cas pour Panique ?
Oui, en 2008, mais il y a eu un accident majeur dans les tireuses. Le film a alors été rayé à de nombreux endroits, cela a rendu le marron nitrate physiquement définitivement endommagé.
Quel élément de départ a pu être utilisé ?
Le négatif original de Panique n’existe plus, il a probablement été détruit car il se décomposait. En 1947, l’industrie du cinéma est passée aux pellicules nitrates qui étaient inflammables, jusqu’en 1952. La chimie de la pellicule nitrate se désagrège dans le temps et des champignons l’attaquent. Dans ces cas-là, la seule chose à faire est de l’isoler des autres sinon il y a une contamination des collections. Après 1953, on est passé à la pellicule en polyester ou acétate. En l’absence du négatif d’origine, j’ai fait en premier lieu une recherche historique pour retrouver la version la plus originale qui s’est avérée être un marron nitrate, nom donné à un interpositif noir et blanc, très endommagé. Les éléments suivants, marron safety et contretype nitrate, avaient une qualité inférieure.
Lorsqu’on duplique un négatif, on obtient un interpositif. De l’interpositif, on obtient un internégatif qui sert à tirer les copies, on doit en faire plusieurs, car cela use le négatif. A chaque nouvelle génération, on perd en qualité.
Pour ce cas précis, nous n’avons pas fait appel à la FIAF, la Fédération Internationale des Archives de Films, pour retrouver des éléments car il était certain que le marron nitrate était l’élément suivant immédiatement le négatif disparu. Nous n’aurions donc pas trouvé mieux en terme de définition et de netteté.
Avec le laboratoire Hiventy, nous avons fait de nombreux essais à partir des éléments 35mm, ce qui nous a permis de proposer une restauration la plus proche possible de la version d’origine.