Questionner les représentations
Femmes au bord de la crise de nerfs
un texte de Marta Álvarez
publié le 03/04/2024
Pour accompagner les projections de Femmes au bord de la crise de nerfs (Pedro Almodovar, 1988) au programme de Lycéens et apprentis au cinéma, les 2 Scènes ont fait appel à Marta Álvarez de l'Université de Franche-Comté pour la rédaction d'une analyse gender du film
→ télécharger la version PDF du texte
→ la traduction du texte en espagnol
Quelques extraits.
Femmes au bord de la crise de nerfs est un bon exemple de l’ambiguïté du cinéma de Pédro Almodóvar. Il met en scène les rapports inégaux entre les hommes et les femmes tels qu’ils apparaissent dans le cinéma qui l’a nourri (particulièrement celui d’Hollywood) et qui ont été renforcés par la dictature patriarcale dans laquelle il a vécu (la dictature du générale Franco prend fin en 1975, lorsque Almodóvar a 26 ans). La vie des femmes du film semble ne tourner qu’autour des hommes, et en partant de ce constat, le réalisateur questionne des conventions que d’autres se limitent à reproduire.
Le regard masculin
Le male gaze (regard masculin) est un concept proposé par la critique cinématographique Laura Mulvey pour parler de la fragmentation et érotisation du corps féminin, traité comme un objet.
Le générique du film traite le corps féminin selon les conventions habituellement associées au « regard masculin ». En revanche, le film, lui, applique aux corps masculins ces mêmes codes de représentation qui transforment l’individu en simple objet du regard (la séquence de doublage d’Iván). Almodóvar fait ici subir au corps masculin le traitement habituellement réservé à celui des femmes.
Les plans qui fragmentent le corps des femmes ne les érotisent pas. La caméra cadre les jambes de Lucía pour nous amener à Iván qui se cache. Pepa se montre en sous-vêtements, mais le large cadrage, le jeu de l’actrice et l’attitude de son personnage vont à l’encontre de la contemplation et de la spectacularisation du corps féminin propre au male gaze.
Des personnages stéréotypés ?
Iván est une parodie du personnage de Don Juan. Le rêve de Pepa (séquence d’ouverture) le réduit à une caricature confrontée à d’autres caricatures, le film insiste sur le caractère mensonger et lâche de cet homme à femmes : le montage dévoile que les personnages et le spectateur n’ont pas le même niveau d’information à son égard (séquence dans le bureau de Paulina, séquence de la valise). Carlos suit les pas de son père, les autres personnages le remarquent et attirent l’attention sur les baisers forcés qu’il impose à Candela.
Le titre du film renvoie aux préjugés sexistes qui relient femmes et folie, mais il prend parti : les comportements masculins justifient une telle aliénation. La guerre de sexes ne laisse qu’une seule option, l’alliance entre les femmes et la mise à distance des hommes. La dernière séquence fait écho à la première, tout en renversant les situations : sans hommes, Pepa et Marina sont éveillées, se tiennent compagnie et sont apaisées.