Puccini mort de rire

Gianni Schicchi
Emmanuel Olivier / Benoît Lambert

publié le 22/03/2017

 

Après Le Nozze di Figaro, créé la saison passée, Gianni Schicchi est le deuxième opéra initié par la co[opéra]tive, structure de production créée par les 2 Scènes, le Théâtre impérial de Compiègne et les scènes nationales de Quimper et de Dunkerque. Benoît Lambert, directeur du Centre dramatique national de Dijon, s’empare de cet opéra-bouffe de Puccini.

 

On connaît davantage le Puccini qui « fait pleurer » (Madame Butterfly, La Bohème), quelle est sa façon de faire de la comédie ?

Benoît Lambert : Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est une façon féroce, pour ne pas dire macabre ! Les sources d’inspiration de Gianni Schicchi sont nombreuses, elles commencent avec La Divine Comédie, de Dante, mais on sait aussi que l’œuvre doit beaucoup au Grand Guignol, qui faisait frémir d’horreur le public parisien depuis la fin du XIXe siècle. Toute l’intrigue de Gianni Schicchi se déroule tout de même autour d’un cadavre. Et puis le portrait de la famille faussement éplorée, et vraiment prête à tout pour toucher le magot du défunt, est absolument grinçant !

L’ouvrage date de 1918, des débuts du cinéma. Avez-vous puisé dans votre culture cinématographique pour appréhender cet ouvrage ?

B. L. : Quand j’ai lu le livret pour la première fois, j’ai tout de suite pensé à Arsenic et vieilles dentelles, de Frank Capra, sûrement à cause du cadavre qu’on essaie de dissimuler, et de l’humour noir qui baigne l’œuvre. J’ai pensé aussi aux petites productions horrifiques de la Hammer, ou aux premiers Tim Burton. Avec Violaine L. Chartier, la costumière, et Antoine Franchet, le scénographe, ce sont des références qui nous ont inspirés : une atmosphère faussement gothique, faussement effrayante, au service d’une comédie. Et puis il y a l’Italie, aussi, qui apportait forcément son lot de références, notamment Scola ou Risi. Gianni Schicchi peut faire penser à Affreux, sales et méchants, par exemple, qui tourne aussi autour d’une histoire de magot...

Chose rare à l’opéra, on chante ici quasiment comme on parle. On se taquine et s’engueule. En italien. Cette langue étrangère vous gêne-t-elle ou vous stimule-t-elle ?

B. L. : C’est vrai que la particularité de Gianni Schicchi, outre sa brièveté, c’est de ne proposer que des scènes d’ensemble, et aucun chœur. Au fond, c’est presque du théâtre chanté, et pour un metteur en scène c’est vraiment stimulant. L’italien ajoute un décalage, une étrangeté supplémentaire, en plus d’une indéniable musicalité. Et puis l’intrigue est tout de même assez simple, difficile de considérer l’italien comme un obstacle pour la compréhension.

Cet opéra foisonne de personnages (onze rôles contre cinq ou six généralement). Vous, qui êtes familier avec le rôle de chef de troupe, comment avez-vous constitué l’équipe ?

B. L. : J’ai participé aux auditions des chanteurs, non pas tant pour apprécier la qualité des voix que pour estimer des présences, pour commencer à rêver sur la famille, pour constituer la troupe. Concernant la qualité musicale, je m’en suis entièrement remis à la co[opéra]tive et Emmanuel Olivier, le directeur musical. Il y a une formidable galerie de portraits dans Gianni Schicchi, des personnages tous plus veules et plus lâches les uns que les autres, c’est très méchant ! J’avais besoin de voir des visages et des corps pour commencer à envisager dans quelle atmosphère tout cela allait s’inscrire.

Vous dirigez un théâtre dont la mission de création est importante, que pensez-vous de l’initiative de la co[opéra]tive ?

B. L. : Je dirige en effet le Théâtre Dijon Bourgogne, le Centre dramatique national de Dijon, dont la mission principale est la création théâtrale, qui est indissociable d’une autre mission!: celle de démocratiser l’art théâtral, c’est-à-dire de le faire partager à un public le plus large possible. À cet égard, je me retrouve parfaitement dans le projet de la co[opéra]tive, qui s’est donné pour tâche non seulement de créer des œuvres lyriques, mais aussi de les faire tourner largement, pour les rapprocher de publics qui n’ont pas toujours l’occasion d’accéder à l’opéra. Et puis je me réjouis aussi que ce projet donne l’occasion à trois maisons de création majeures de notre nouvel ensemble régional – les 2 Scènes à Besançon, l’opéra de Dijon et le Théâtre Dijon Bourgogne – de collaborer étroitement et de porter ensemble une vraie ambition artistique pour notre territoire.