J'ai perdu mon corps
Xilam - J. Clapin
J'ai perdu mon corps
Xilam - J. Clapin

J'ai perdu mon corps - regard sur le film

Lycéens et apprentis au cinéma

publié le 08/04/2025

Dans le cadre de Lycéens et apprentis au cinéma, nous avons demandé à Lucie Mérijeau, spécialiste de cinéma d'animation d'apporter un éclairage sur le film J'ai perdu mon corps, en écho à son intervention pour les enseignants du 12 mars 2025. Lucie Mérijeau a également produit pour notre dispositif un diaporama à utiliser en classe, Focus sur le cinéma d'animation.

À sa sortie en 2019, J’ai perdu mon corps fait parler de lui en tant que film d’animation (Cristal du long métrage au Festival du film d'animation d'Annecy et César du meilleur film d'animation) et en tant que film « de cinéma », en remportant le Grand prix de la Semaine de la critique au festival de Cannes. Le sillon avait été tracé en 2007 par Persepolis (M. Satrapi et V. Paronnaud, Prix du Jury au festival de Cannes) et creusé en 2008 par Valse avec Bachir (A. Folman). Depuis, un nombre inédit de longs métrages sont venus arpenter le territoire du film d’animation « pour adultes » : des films mettant en scène des fictions documentées ou des récits personnels jusque-là réservés au domaine du court métrage, peu visible par le grand public.

À travers le personnage de Naoufel, jeune adulte meurtri par la vie, et de sa main sectionnée, J’ai perdu mon corps explore l’intime et le quotidien. Ces thèmes sont peu abordés dans les longs métrages animés, qui privilégient le divertissement et l’adresse à un public familial. Le film se déroule à Paris, dont il cisèle une représentation faite d’aspérités et de micro-agressions, éloignée de la vision de carte postale de Ratatouille par exemple (B. Bird, 2007). Le film a d’abord été fabriqué en trois dimensions, permettant plus facilement de créer une ville « avec des perspectives, de pouvoir appliquer des focales réalistes ». Les animateurs ont ensuite dessiné sur les éléments et les personnages en 3D, pour obtenir un rendu final en 2D moins lisse, plus crédible par rapport au sujet traité. Comment faire en sorte que le membre amputé ne soit pas repoussant ? Comment lui donner une personnalité alors que la main n’a ni visage, ni expression ? Le traitement réaliste a permis d’aborder la main comme un personnage avec des émotions et non comme une anecdote, loin des registres horrifique ou comique plus habituels (pensons à La Famille Addams).

Un film d’animation demande une préparation encore plus importante qu’un film en prises de vues continues. Le scénario passe par l’étape du story-board (découpage des scènes du film plan par plan, présentant la place des personnages dans les décors, les angles de prise de vue et les mouvements de caméra prévus, ainsi que les effets spéciaux). L’étape suivante de l’animatique est cruciale. C’est le montage de tous les plans du story-board, selon la durée souhaitée pour chaque scène, auxquels s’ajoutent les dialogues et une première ambiance sonore. Cette première version permet au réalisateur de comprendre quelles scènes fonctionnent et celles qu’il faut retravailler avant de se lancer dans l’animation des personnages.

J’ai perdu mon corps est remarquable par la complexité de sa narration, qui mélange plusieurs temporalités, et pour son personnage de la main. Comment rassembler la beauté de l’élan amoureux et la dureté de la vie d’immigré et d’orphelin ? Comment associer la vie d’un jeune adulte mal dans sa peau, les souvenirs de son enfance heureuse et la déambulation en parallèle de sa main gauche, sectionnée par accident ? Le film s’appuie sur un montage très structuré pour nouer les différents temps du récit, là où la plupart des longs métrages animés jouent la carte de la prouesse visuelle et des potentialités spectaculaires du médium (transformations, métamorphoses, etc.). La continuité narrative et visuelle associent en permanence Naoufel et la main : le climat délétère chez l’oncle de Naoufel préfigure la scène où elle arpente les trottoirs parisiens et les dangereux couloirs du métro. Plus loin, elle trouve un refuge temporaire dans le berceau d’un bébé, alors que Naoufel emménage dans son premier « chez-soi ». La douceur alterne avec la violence, à l’image des remous intérieurs du tourmenté Naoufel.

Ces quelques pistes sont une ébauche pour comprendre le positionnement de J’ai perdu mon corps en tant que film d’animation, en tant que long métrage d’animation pour adultes, mais aussi en tant que film « tout court ». On peut regretter que malgré le regard braqué par les médias sur l’animation depuis une quinzaine d’années, celle-ci peine encore à recevoir toute l’attention qu’elle mérite.

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