I am not your negro
RAOUL PECK – 1H34, ÉTATS-UNIS, FRANCE, 2017
En juin 1979, l’auteur noir américain James Baldwin écrit à son agent littéraire pour lui raconter le livre qu’il prépare : le récit des vies et des assassinats de ses amis Martin Luther King Jr, Medgar Evers et Malcolm X. En l’espace de cinq années, leur mort a traumatisé une génération. En 1987, l’écrivain disparaît avant d’avoir achevé son projet. Il laisse un manuscrit de trente pages, Remember this House, que son exécuteur testamentaire confie plus tard à Raoul Peck (L’École du pouvoir, Lumumba). Avec pour seule voix off la prose de Baldwin, le cinéaste revisite les années sanglantes de lutte pour les droits civiques, les trois assassinats précités, et se penche sur la recrudescence actuelle de la violence envers les Noirs américains.
Non content d’être une introduction accélérée aux mots d’un immense écrivain, trop peu connu en France, dont la pensée limpide s’est attaquée aux fondements du racisme aux États-Unis, I Am Not Your Negro est aussi un film de cinéma – et sur le cinéma –, décortiquant la manière dont, depuis son enfantement, Hollywood a perpétué le mythe d’une pureté blanche et aidé à fabriquer la figure du «nègre», exutoire à la violence rentrée qui travaille le pays. Racontant les destinées des trois leaders, et puisant dans les écrits de Baldwin, dont le brillant The Devil Finds Work consacré à Hollywood, Raoul Peck les juxtapose à des scènes d’actualités, notamment du mouvement Black Lives Matter, démontrant que la pensée de l’écrivain a gardé sa pleine vérité. Et notamment lorsqu’il énonce ceci : que le racisme constitutif de la nation américaine resterait son pire ennemi, tant que les mensonges fondateurs du pays (massacre des Indiens, esclavage des Noirs) ne seraient pas confrontés. Et que la figure du «nègre» inventée par la culture dominante blanche (car blanc, ici comme ailleurs, est synonyme de pouvoir) a servi à masquer la schizophrénie du pays, le grand vide émotionnel en son coeur, voué à une consommation toute-puissante et anesthésiante. Le problème noir est un problème américain, martèle Baldwin. En maltraitant les siens, un pays tout entier s’avilit.
Elisabeth Franck-Dumas, Libération