MON AMIE VICTORIA
JEAN-PAUL CIVEYRAC - 1H35, FRANCE, 2014
AVEC GUSLAGIE MALANDA, NADIA MOUSSA, CATHERINE MOUCHET, PASCAL GRÉGORY
Victoria, fillette noire de milieu modeste, n’a jamais oublié la nuit passée au sein d’une famille bourgeoise, chez le petit Thomas. Des années plus tard, ils se retrouvent et, de leur aventure, naît Marie. Mais Victoria attend sept ans avant de révéler l’existence de Marie à Thomas et à sa famille...
De cette destinée tragique (au sens premier du terme : sans issue positive), Civeyrac tire un mélodrame aérien en apparence distant, voire clinique, qui travaille moins à l’irruption des sentiments qu’à leur refoulement. Il choisit de faire de son héroïne une force brute, secrète, un visage à l’opacité telle qu’il semble insensible aux malheurs. «Une femme qui aura souffert de ne jamais avoir de prise sur sa vie», dira une voix off mélodieuse, donnant la clé du personnage. Étrangère dans son propre pays, victime de sa couleur de peau, Victoria traverse ainsi le film comme une présence invisible, apparaissant tel un spectre dans des scènes de somnambulisme à la lisière du fantastique. Elle rejoint au fond la longue liste des damnés qui peuplent la filmographie de Civeyrac, dont la sensibilité pour le romantisme et les marges se fait ici plus politique. Mais une politique sans discours, qui s’exprime à travers l’empathie bouleversante que manifeste le cinéaste pour son héroïne, et à l’inverse sa cruauté féroce à l’égard des personnages de bourgeois, dont il moque autant les réflexes racistes que la charité calculée, sans doute plus coupable. Une politique du regard, en somme.
Romain Blondeau, Les Inrocks